Conseil d'Etat, 12 avril 2023, n°461576

Par un arrêt du 12 avril dernier, le Conseil d’Etat a jugé que, dès lors que les pénalités de retard dues par chaque membre d'un groupement solidaire dans l'exécution d'une prestation sont individualisées dans le contrat, le juge, appelé à modérer les pénalités mises à la charge d’un de ses membres, en raison des retards dans l'exécution de la part des prestations dont il avait la charge, doit apprécier le caractère manifestement excessif des pénalités non pas en fonction du montant total du marché, mais en fonction de la seule part de ce marché qui est attribuée au membre pénalisé.

En l’espèce, par un acte d'engagement signé le 13 août 2012, les Hôpitaux civils de Colmar ont confié le marché de maîtrise d'œuvre de l'opération de construction d'un pôle « femme-mère-enfant » et d'un nouveau bâtiment médicotechnique à un groupement momentané d'entreprises solidaires composé de la société Art et Build Architectes, mandataire du groupement, et des sociétés B+B, OTE et Gamba. Le 6 juillet 2015, la directrice des Hôpitaux civils de Colmar a résilié ce marché à l'égard de la seule société Art et Build pour faute, à ses frais et risques. Par un avenant au marché de maîtrise d'œuvre signé le 27 juillet 2015, les Hôpitaux civils de Colmar ont confié, d'une part, à la société B+ B la mission de mandataire et, d'autre part, aux sociétés B+B et OTE les éléments de mission de base et optionnels inachevés par la société Art et Build, celle-ci étant appelée à supporter le coût de ceux-ci dans le cadre de ce marché de substitution. Le 3 septembre 2015, celle-ci a contesté cette résiliation et a demandé, à titre subsidiaire, la réparation des préjudices subis. Le lendemain, elle a introduit devant le tribunal administratif de Strasbourg un recours en contestation de validité de la résiliation. A la suite du rejet le 2 octobre 2015 par les Hôpitaux civils de Colmar de sa réclamation du 3 septembre 2015, la société Art et Build a mis en demeure la personne publique de lui notifier le décompte de résiliation du marché. En l'absence de réponse, par un mémoire en réclamation du 6 novembre 2015, elle a demandé aux Hôpitaux civils de Colmar de lui verser le solde de son contrat résilié. Cette demande n'ayant pas été satisfaite, elle a saisi le tribunal administratif de Strasbourg, mais celui-ci a rejeté sa demande. Or, si la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement en tant qu'il avait rejeté sa demande tendant au paiement du solde du décompte de résiliation du marché, elle a également rejeté cette demande et le surplus de ses conclusions.

Saisie à son tour, la haute assemblée affirme, en ce qui concerne les pénalités de retard, que celles « prévues par les clauses d'un contrat de la commande publique ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer à l'acheteur le non-respect, par son cocontractant, de ses obligations contractuelles. Elles sont applicables au seul motif qu'une inexécution des obligations contractuelles est constatée et alors même que la personne publique n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge de son cocontractant qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi ».

Dès lors, « lorsqu'une convention, à laquelle le maître d'ouvrage est partie, fixe la part qui revient à chaque membre d'un groupement solidaire dans l'exécution d'une prestation, et lorsque le juge est saisi par l'un de ces membres de conclusions tendant à ce que soient modérées les pénalités mises à sa charge en raison des retards dans l'exécution de la part des prestations dont il avait la charge, il appartient au juge, pour apprécier leur caractère manifestement excessif eu égard au montant du marché, de prendre en compte la seule part de ce marché qui lui est attribuée en application de cette convention ».

Or, « il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la part revenant à chaque membre du groupement d'entreprises solidaires, composé des sociétés Art et Build Architectes, B+B, OTE et Gamba, a été déterminée par une annexe à l'acte d'engagement, signée par le directeur des Hôpitaux civils de Colmar. Par suite, en prenant en compte la totalité du montant du marché pour calculer la part de ce marché que représentaient les pénalités infligées à la société Art et Build Architectes et non la seule part de ce marché attribuée à cette dernière, la cour administrative d'appel de Nancy, qui n'était saisie que des conclusions présentées par cette dernière société et tendant à ce que soient modérées les pénalités mises à sa charge par les Hôpitaux civils de Colmar en raison des retards dans l'exécution de la part des prestations dont elle avait la charge, a commis une erreur de droit ».

Source: Fil DP