Conseil d’Etat, 10 octobre 2022, n°454460
L’instruction est rouverte pour le juge qui a sollicité à l’audience un complément d’instruction.
Par un arrêt du 10 octobre 2022, le Conseil d’Etat a jugé que, lorsqu’au cours d’une audience, le président d’une formation de jugement invite une partie à produire des éléments ou des pièces pour compléter l’instruction, il doit être regardé comme ayant rouvert l’instruction. Cela lui interdit de statuer sur le litige avant de l’avoir à nouveau close. Il doit alors rayer l’affaire du rôle et informer les parties de la réouverture de l’instruction.
En l’espèce, par une convention constitutive du 1er janvier 2015, le groupement de coopération sanitaire « G4 », l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, les centres hospitaliers universitaires d’Amiens, de Caen et de Rouen et les universités d’Amiens, de Caen et de Rouen, ont créé trois fédérations hospitalo-universitaires, dont la fédération hospitalo-universitaire dite « Remod-VHF » (« remodeling in valvulopathy and heart failure » - marqueurs précoces du remodelage cardiovasculaire au cours des valvulopathies et de l’insuffisance cardiaque), dont le centre hospitalier universitaire de Rouen assure la gestion administrative et juridique. Dans la perspective de répondre à un appel à projets de recherche hospitalo-universitaire lancé par l’Agence nationale de la recherche, la fédération hospitalo-universitaire « Remod-VHF » a réuni, dans le cadre d’un consortium dit « STOP-AS » (« search treatment and improve outcome of patients with aortic stenosis » - stopper le rétrécissement aortique et ses conséquences), différents partenaires publics et privés, dont la société Firalis. Par un arrêté du 24 juin 2016, le Premier ministre a autorisé l’Agence nationale de la recherche à subventionner le consortium « STOP-AS » à hauteur de 6 600 000 euros, en subordonnant toutefois le versement de l’aide à la société Firalis à la vérification de sa capacité à financer les apports prévus dans le dossier déposé. Le 5 mai 2017, dans le cadre d’une réunion du comité institutionnel réunissant les membres du consortium, la société Firalis a été invitée à présenter son bilan scientifique et financier. A l’issue de la réunion, les membres du consortium ont décidé de mettre fin à la relation les liant avec cette société. Cette société a alors demandé au tribunal administratif de Rouen d’annuler la décision du 5 mai 2017, mais sa requête a été rejetée et ce jugement a été confirmé par la cour administrative d’appel de Douai a rejeté son appel contre ce jugement.
Saisie à son tour, la haute assemblée indique qu’il résulte du premier alinéa de l’article R. 613-1, de l’article R. 613-1-1, du premier alinéa de l’article R. 613-2, de l’article R. 613-3 et de l’article R. 613-4 du code de justice administrative
« que, lorsqu’au cours d’une audience, le président de la formation de jugement d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel invite une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l’instruction, il doit être regardé comme ayant rouvert l’instruction. Dans une telle hypothèse, en l’absence de dispositions lui permettant de différer la clôture de l’instruction au-delà de l’appel de l’affaire à l’audience ou, le cas échéant, de la formulation par les parties ou leurs mandataires de leurs observations orales, et dès lors que la formation de jugement ne saurait sans irrégularité statuer tant que l’instruction est en cours, il lui revient de rayer l’affaire du rôle et d’informer les parties de la réouverture de l’instruction ».
Or, «
il ressort des pièces du dossier de la procédure devant la cour administrative d’appel de Douai que, par une ordonnance du 19 janvier 2021, la présidente de la deuxième chambre de cette cour a fixé la date de la clôture de l’instruction au 19 février 2021, 12 heures, et que l’instruction a été rouverte à cette date par la communication du mémoire en réplique de la société Firalis. Par un courrier du 1er avril 2021, le greffier a informé les parties de ce que leur affaire serait inscrite à l’audience du 20 avril 2021, de sorte que l’instruction était à nouveau close trois jours francs avant cette dernière date. Au cours de l’audience du 20 avril 2021, la présidente de la formation de jugement a demandé aux parties la production d’une pièce supplémentaire. La pièce en cause a été produite le 29 avril 2021, à la suite de quoi la cour a rendu son arrêt le 11 mai 2021. En statuant dans ces conditions, alors que l’instruction était toujours en cours et ne pouvait plus être à nouveau close sans que l’affaire, ne relevant d’aucune disposition permettant de différer la clôture au-delà de l’audience, soit rayée du rôle, la cour a entaché son arrêt d’irrégularité ».
Source : Fil DP